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Ici vous trouverez de courts récits (de fiction) basés essentiellement sur les sentiments humains et la manière dont chacun les interprète.

06 Dec

Au Ballet

Publié par Esther Descamps

Au Ballet

Je suis allée voir un ballet, ou plutôt une projection en direct de plusieurs chorégraphies qui se jouaient à l'Opéra Garnier. Sur l'écran les corps se tordent et s'animent dans une grâce inépuisable. Quatre tableaux étaient présentés, quatre univers distincts mis en image par le même chorégraphe. Le premier était l'effervescence même des années cinquante, des marins, en quête d'amours de passage, dansent, entreprennent une parfaite parade nuptiale au sein d'un bistrot reconstruit où la bière ne s'épuise jamais, ne saoule jamais. Les femmes, elles, défilent, font trembler les volants de leurs jupes avec la plus grande indifférence à l'égard des marins. C'est le même jeu de séduction que toujours, où la femme se fait proie et l'homme est démonstratif de tous ses atouts. C'est ici un message qui est transmit par l'action des jambes, les hommes avancent, les femme sautillent dans la direction opposée. Il y a du burlesque très simple dans ce jeu de jambes qui dévoile la falsification qu'engendre la séduction.

 

Le second tableau fût bien plus solennel, un homme se tient debout, seul, sur la scène où joue une violoncelliste. Loin de se restreindre à son rôle de musicienne, elle rentre, par un jeu de regard, dans la danse. L'homme est tout de rouge vêtu, on le croirait tombé du lit, encore en pyjama de petit garçon. Il semble encore peu éveillé, dans ce stade de transition charmant entre le réveil et le premier café. On croirait voir un personnage de dessin animé, bien que plus « noble », s'agiter dans une hystérie délicate. On voudrait le prendre dans nos bras, faire taire cette chorégraphie qui l'habite et, plus que de le libérer, semble l'emprisonner encore et encore dans des rondes majestueuses. La violoncelliste a un rôle ambigu, elle semble à la fois tenir les rênes de cette malédiction qui pousse le jeune homme à virevolter, et en être la complice, la mère ou bien l'amante.

 

Le troisième tableau mettait en scène la nouvelle étoile de l'opéra qui se réveille langoureusement sur le Prélude à l'Après Midi d'un Faune, il singeait presque l'esclave mourant de Michel Ange, dans un merveilleux entre deux entre l'éros et la douleur, la passion (de soi avant tout) et l'achèvement. A demi nu sur un décors d'une simplicité incroyable il se lève petit à petit, danse de part et d'autre de la pièce, se regarde danser et cherche une spectatrice pour l'aimer. J'allais me désigner, lui dire que j'étais là, mais avant que je ne puisse réagir (et même avant que je me rende compte qu'il n'était qu'une projection sur un écran de cinéma) une danseuse est rentrée sur scène, sur ses pointes et dans sa jupe légère. Elle est là pour l'aimer, pour en être aimée, pour qu'ils se séduisent. Seulement on ne la voit qu'à peine, c'est sur lui, sur le faune ou le danseur que tous les regards se dirigent, lui qui la voit sur le tard, qui la porte, qui l'ensorcelle et nous ensorcelle avec.

 

Cette parenthèse enchantée d'érotisme pur s'est close pour laisser place au dernier tableau, le quatrième. Deux subdivisions le marquaient : dans la première ce n'est qu'une masse de danseurs qui se noient dans ce qui ressemble au métro New Yorkais que l'on voit, dans ses longs couloirs où ils déambulent avec grâce, avec quelques jetés et quelques exclamations. J'ai été particulièrement touché par ce moment, par ces figures indistinctes qui, sur la musique très rapide et répétitive, s'attroupent dans un objet quotidien rendu merveilleux par la scène. Par la suite un couple de danseurs occupe l'avant scène, mais je ne les ai pas regardés eux, j'y préférais les danseuses qui mimaient ce qui s'apparenterait sûrement aux peintures de l’Égypte antique à l'arrière, sur un fond bleu et lumineux : toujours les mêmes mouvements, toujours la même cadence, toujours parfaitement en harmonie, toujours charmantes et enfantines. Ce dernier tableau s'est clôt sur une sorte de combat, ou de compétition de danse, les femmes contre les hommes, les uns narguant les autres. La concurrence s'estompe petit à petit, petit à petit les deux groupes fusionnent et rient, dansent ensemble. Puis les rideaux font de même.

 

Sur le chemin du retour ma perception du monde s'est retrouvée toute altérée, magnifiée par ce spectacle. Dans la rue, derrière un restaurant deux femmes sortent une poubelle, ils me semble alors qu'elles la poussent en dansant autours, sur la musique qui défile dans mes écouteurs. La fumée du cigare du vieille homme devant moi me tourne autours, m'enveloppe d'un tulle abstrait, les lampadaires sont des projecteurs et chaque pas est une envolée. Les buveurs tardifs sont beaux et plaisantent entre eux, se draguent sagement, s'aiment. Personne ne me voit, je suis le petit esprit malin qui met en scène le quotidien, seulement je ne l'altère que pour moi, ils n'en ont aucune idée.

 

Alors je rentre, je me mets sous les draps et je songe, je songe à ce faune, à tous les autres, à ce que je ne suis pas. J'entre dans une jalousie cruelle à l'égard de toutes ses danseuses bien plus douées que jamais je ne le serais, bien plus charmantes et gracieuses. Alors me revient à l'esprit un texte de Roland Barthes, celui où il parle du « mollet de la danseuse », d'une beauté et d'un génie total vu de loin, boursouflé et dur vu de près. Alors je me sens mieux et je m'endors sur ces belles paroles.

 

 

 

 

 

 

 

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