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Ici vous trouverez de courts récits (de fiction) basés essentiellement sur les sentiments humains et la manière dont chacun les interprète.

29 Nov

Ça 

Publié par Esther Descamps

Ça 

Voilà des semaines que j'essaye d'atteindre la cause ou bien l'essence même de l'état dans lequel je me trouve sans pouvoir en déterrer les racines. Seuls quelques mots vacillent, dansent dans ma tête et même dans ma bouche : « comment ne pas parler de " ça " ». « ça » c'est un événement futile, anecdotique, un événement qui s'étend sur peu de temps, pas même une heure et qui n'a pas grande signification et qui pourtant me suit tous les jours. Raconté il n'a que peu de poids, c'est quelque chose de bien anodin et courant, seulement c'est à moi que c'est arrivé, c'est moi en ai été saisi et ne peux plus lâcher prise. « ça » découle d'un état d'esprit, d'une préparation à base de rhum coca, de bière, de vin ; c'est une envie d'extase, d'extrême et d'oubli. C'est l'extraordinaire infiltré dans la banalité, comme un espion, c'est ce qu'on ne dit pas, mais qu'on essaye de retrouver sans cesse, qu'on se raconte à soi même tous les soirs pour s'endormir sur une belle image et, surtout, ne jamais l'oublier.

 

« Ça » implique le désir, mais de quoi ? De tout, un désir de vie ou plutôt de se sentir vivre, de se voir vivre. D'un véritable flash, de chair, d'une sensation orgasmique qui s'étend, reste en devenir et que l'on regrette longtemps. Surtout un désir de digression, d'une rupture du fil, du train train quotidien, une bulle détachée du reste, sacralisée.

 

C'est avant tout autrui, autrui pour mieux se sentir soi, se sentir pleine et seule. Autrui qui perçoit la beauté de l'instant, sans y accorder une réelle importance, mas le feint. Face à lui, il faut alors lâcher prise, être magnifiquement fausse : nouvelle identité, nouveaux apparats, nouvelle diction. C'est une sublime renaissance instantanée pour mieux plaire et mieux se cacher. Un semblant de confiance en soi enseveli alors notre corps, le transforme ; du moins c'est ce que l'on se dit.

 

Il faut se lâcher, disais-je, danser à perdre haleine comme si personne ne nous voyait au milieux du tourbillonnement éternel des corps et des fantasmes, de la musiques comme des plaintes... Se laisser tomber dans des bras prêts à nous recevoir, se cramponner aux chemises multicolores, soupirer un peu. C'est au sein des bars parisiens où s'amassent les jeunes étudiants branchés, lieu jovial où tous sont là pour oublier, que l'on danse. Un lieu où l'on se serre fort, où l'on sue dans l'indifférence ; où tendresse et désir animal dansent la valse, le rock, pogottent. L'alcool y coule à flot, calme les peines, émancipe les cœurs simples pour qu'enfin tous s'embrassent chaleureusement, pour le simple plaisir de trouver un souffle chaud, sans réel destinataire à cet élan affectif. Les lèvres se nouent, les corps s'enlacent dans une ribambelle de couleurs flashy. Autours de nous les corps sont comme des fantômes, des âmes errantes qui dansent, slaloment de part en part de la piste. On y voit trop de peau, bien plus que l'on ne devrait ; et qui s'efface aussitôt ; j'y ai senti la peau d'autrui, chiffonnée, aimée comme pour la lui subtiliser, pour en être l'objet de désir, il ne m'en reste aujourd'hui que le souvenir délicat.

 

Les habitués y retrouvent leur quête incessante d'extase, pour oublier. Mais oublier quoi ? Oublier qu'un jour ils ont connu « ça », ou bien oublier qu'ils le cherchent encore. Espérer que ce lieu produise de telles occasions à nouveau... Je ne veux pas oublier pour ma part, je ne veux plus de tels lieux et des attentes qui l'auréolent, je veux revivre en mémoire cet événement exhalant encore et encore ; le revivre pour de vrai si possible.

 

Tout cela me même à penser que ce que j'appelle « ça » est inatteignable, nous n'en sommes toujours conscient qu'après coup, au moment présent on ne pense qu'au fait qu'on l'a si longtemps désiré, qu'on va le regretter amèrement une fois que « ça » ne sera plus. On se regarde le vivre, on tente de l'immortaliser, de lui accorder une dimension éternelle, mais on ne le vit jamais.

Pas de crash, de redescente, pi que tout ça, on ne réalise pas, on coure sur le jours, sur les corps, sur la peau comme s'il n'y en avait pas eu d'autres ; comme si « ça » n'était jamais advenu. On vit alors au hasard, par coups de tête, recherchant toujours ces mêmes chemises bariolées, ces mêmes baisers tendres, « ça » et la personne qui l'accompagnait.

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