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Ici vous trouverez de courts récits (de fiction) basés essentiellement sur les sentiments humains et la manière dont chacun les interprète.

19 Sep

Pyrotechnie moderne

Publié par Esther Descamps

Pyrotechnie moderne

Étendue sur ma terrasse, je tiens au creux de ma main une petite boîte d'allumettes : quel objet charmant. Il s'agit du format réduit produit à l'intention de ceux qui se sentent toujours trop encombrés, avec sur les côtés ce petit feutre granuleux qui, pour mon bon plaisir, offre un bruit grisant et adorable lorsque l'allumette vient s'y frotter, s'embraser, s'allumeer. J'ai bientôt fini la boîte, c'est mon petit côté pyromane, je ne peux pas m'en lasser depuis le jour où j'ai découvert le mécanisme de ces petits bâtonnets magiques étant enfant. Je m'interroge au sujet de ces lamelles de bois à la tête bleue ( là réside toute l'originalité de ces allumettes là, dans la couleur de leur couvre chef), quant à cette fougue et cette précipitation qu'elles ont à prendre feu pour se meurtrir, noires et maigres, à la seconde suivante. J'avais l'habitude d'être tout aussi téméraire autrefois ; j'aimerais pouvoir dire "dans ma jeunesse" mais il me semble être encore trop jeune pour cela ; je fonçais avec fougue vers quiconque et quoi que ce soit qui, lors d'un instant, pouvait m'offrir l'opportunité de me sentir puissante et en vie.

 

La fièvre de septembre me fait office de petit réchaud. J'ai toujours apprécié être malade, mis à part les inconvénients, le corps chaud offre une nouvelle perspective du monde, un petit goût d'enfance : on attend d'être bordé. J'aime particulièrement les sessions de films adolescents accompagnés de chocolat chaud réconfortant. C'est l'automne, enfin, et la brise fait danser les robes des filles, les feuilles couleur braise se laissent tomber une à une attendant d'être ratisser, elles craquent gentiment, se meurtrissent. C'est le temps propice à la nostalgie, je reviens à l'an dernier et toutes les années précédentes, à toutes ces rentrées scolaires, à toutes ces amours naissantes qui se parent de sépia dans mon imagination cliché. 

 

Cet après midi j'irai me balader au cimetière, j'aime m'y promener en cette saison, comme pour enterrer tous ces souvenirs qui resurgissent. J'y verrai la mélancolie et le calme main dans la main, les passants qui se recueillent, tentent de faire revivre des proches trop vite partis. Sous les chênes et les savonniers : la peine. J'ai toujours trouvé curieux cette manière qu'ont les feuilles de savonniers de se froisser dans un repli parfaitement calibré sur elles mêmes, singeant la posture des amours en cage. Mais nous n'y sommes pas encore, je reste affaissé sur ma terrasse. Je ne sais pas si je me baladerai, je ne sais rien de ce qui adviendra et je ne veux pas savoir. L'instant me paraît propice à la cristallisation, je veux lui imputer l'éternel et le fixe. Je ne songe plus à rien, à personne, je ne fais plus qu'être, étendue, fanée.

 

Cette posture de vanité contemporaine me lasse, je me lasse vite de tout, alors oui, il faut se reprendre, rejoindre l'action. J'enfile ma veste, ma sacoche et m'en vais affronter le monde.

 

À l'arrêt de bus le peuple gronde, enfin deux personnes uniquement, pour l'instant : une femme que les années ont pris soin d'abîmer et un homme qui ne s'exprime que par apophtegmes. Ils me prennent à parti et me font part de leur mécontentement quant aux actes des politiciens. Je ne sais pas quoi répondre. Dans le bus bondé ils exécutent leur sondage et c'est petit à petit une frange totale de Paris qui se soulève. Ce sont toutes les classes mélangées qui partagent la même colère avec pas moins de ressentiment et d'aigreur. Je regarde le spectacle, sans jamais rentrer dans le débat. Le bus s'enflamme, les visages tournent au rouge, c'est la révolution qui se prépare : les Robespierre modernes crient justice, je soupire préjudice.

 

Quand les deux premiers révolutionnaires quittent le véhicule, tout s'apaise, d'un coup. L'aspiration à la révolution aura été brève. Dans la rue tout est sombre, paisible, sans politique. Les immeubles érigés ne se soucient guère des opinions de ceux qu'ils abritent, ils restent stoïques, se gorgent d'alcool et de larmes au milieu de la nuit mais jamais ne tremblent.

 

Je fouille dans ma poche et retrouve mon petit boîtier d'allumettes, j'en gratte une et fends l'obscurité : un... deux... trois... quatre... cinq... six... et fini.

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