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Ici vous trouverez de courts récits (de fiction) basés essentiellement sur les sentiments humains et la manière dont chacun les interprète.

23 Jul

Je me souviens

Publié par Esther Descamps

Je me souviens

Il est midi, je rêve d'asphalte et de nuit quand le soleil me brûle.  Ma peau crépite, suinte, scintille alors que le ciel bleu, auréolé de jaune et de blanc - comme il est d'usage au mois de juillet- me défie.  Je me sens disparaître petit à petit, une flaque humaine qui vient caresser la chaussée, se mêler à elle. J'ai envie d'ivresse, de folie et de corps qui se perdent; je veux me dissoudre dans l'obscurité et ne plus voir, je veux enlacer et embrasser sans être vue. Le projecteur géant de midi m'en empêche. Je me sens mise à nu, exposée comme une œuvre dont on se rit : pas d'issue de secours. Le mouvement se meurtri, abattu par la chaleur, le ridicule exposé. Je me sens sale, je me sens con : incapable de plaire sous tant de lumière.

 

Près de là, dans les maisons, des familles attablées comme tout dimanche rient et s'ennuient; les sempiternels débats sur les réformes de l'éducation, les plaintes de la grand mère déjà oubliée, les enfants qui se gavent pour boucher l'ennui. Près de moi des amants qui se réveillent et s'étreignent , langoureusement, protégés par les volets. Près de moi le marché, la viande, les fleurs et les légumes frais qui se vendent à la merci des parisiens. Près de moi la glande, l'épisode matinal et quotidien d'une série pour oublier le temps... 


Je suis assise sur un rebord de trottoir et songe, je me figure sans la regarder cette vie qui fourmille aux alentours, je me figure que c'est la nuit et que c'est hier. L'eau stagnante du caniveau reflète les rayons, m’éblouie, forme un fondu enchaîné d'une pensée à une autre. Me voilà projetée au souvenir de notre première étreinte, à la fois si lointaine et très proche. Le souvenir prend une forme curieuse lorsqu'il frappe les âmes affaiblies, pour ma part il me semblait qu'il était plus proche d'un phénomène matériel et bien réel que d'une simple projection. En effet, je vis soudain passer une image nébuleuse et arrondie, obscure, trouant le décors infect. Une sphère fumante et mobile au sein de laquelle les personnages  (qui m'étaient familiers) demeuraient en action sans se soucier de la combustion de leur existence.
La scène se déroulait au sein du métro parisien, au beau milieu de la nuit. Deux adolescents, ou jeunes adultes au choix, partagent des écouteurs et écoutent ensemble la musique, ils s'enivrent de la mélodie et dansent sous les regards agacés et interloqués du reste du wagon. Ils sont ridicules à se dandiner négligemment, à jouer autour de la barre du métro. Ils ne se regardent pas, du moins il ne la regarde pas : il est bien trop concentré sur sa chorégraphie improvisée. Elle, elle essaye seulement de ne pas le regarder. Ils ne sont pas amants, ils ne se connaissent même pas si bien, à peine ; ce qu'il faut pour que la magie frappe l'instant. Cet instant, il s'est gravé comme une éternité dans mon esprit solitaire, pas de sens assez solides pour se raccrocher à d'autres moments, éradiquant les plaintes et les douleurs de ce qui en découlera.

 

Plus tard, dans la même nuit, le jeune garçon ramènera la fille chez lui, acceptera gentiment d'être son hôte, sans arrière pensée. Plus tard, au milieu du sommeil, au sein du lit qu'ils partagent en toute amitié, leurs corps s'effleureront dans une caresse tendre et inconsciente. Alors, lui, rêvant et désireux de nouveaux corps, de nouvelles expériences estudiantines prendra la fille tremblante dans ses bras, il fera le premier pas, la première étreinte. Je me souviens de la sensation de son souffle chaud sur mon front, je me souviens de ses mains parcourant mon dos et ma nuque, de nos lèvres qui s'effleurent et se nouent. Je me souviens l'avoir aimé alors. Je me souviens, seulement, je ne le vis plus. Le temps et les circonstances m'ont arraché à cet instant, à ce garçon, avortant l'amour. Disons que j'avais mieux pour lui et moi, disons que la précipitation de la séduction a avarié toute sincérité, toute vérité. Pour une brève élévation, déjà effacée ou presque de ma mémoire, s'en est suivi un vide, un très grand vide...

 

La nuit m'avait rendue belle et amoureuse, aujourd'hui l'heure de midi m'est fatale. Plus assez de maquillage pour camoufler l'aigreur et les larmes, muette et assourdie, je dégouline de remords sur ce trottoir ;  songeant que l'avenir est la minute à venir, attendant la trêve dans un longue expiration. 

 

Il est midi, toujours, et le souvenir s'enfuit.

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