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Ici vous trouverez de courts récits (de fiction) basés essentiellement sur les sentiments humains et la manière dont chacun les interprète.

08 Feb

Naufrage

Publié par Esther Descamps

Naufrage

Le désir de me mêler, de me fondre à l'étendue du monde me hantait. C'est à cela que mon cœur aspirait et, par cette union, de collectionner ce que l'on pourrait appeler des moments forts. La banalité devait être magnifiée, idéalisée dans son apparence concrète. Je savais indubitablement qu'un fait inéluctable m'était destiné, sans pourtant en connaître la nature, et je me devais de l'honorer, ou, au moins, essayer de l'amadouer ; falsifier le monde à l'image de mes désirs pour m'y faire une place, un destin.

 

Cependant, même dans ce monde remanié de toutes pièces par ma perception, je n'étais toujours pas satisfaite, il fallait plus, toujours plus. Je partais chaque jour à la chasse de ces moments d'extase pour les enfermer, en faire des miettes d'éternité dans ma mémoire, les ressassant sans cesse. Dès lors que je marchais dans la rue, je voulais tout photographier mentalement, j'observais sans relâche, je vivais tout ce que l'on me donnait à vivre et rien d'extraordinaire, aucune plénitude n'en advenait.

 

Je voulais me coucher sur l'asphalte, me laisser glisser comme les voitures, sentir le vent, la brume sur mes yeux et dire que ce sont des pleurs ; je voulais ne faire qu'un, sentir la sensation des feuilles, des réverbères et de tout ce qui est autre. J'aurais voulu être folle pour me persuader que j'y arrivais, rester dans l'éternelle sensation d'appartenance à l'univers, faire durer à l'infini les instants.

 

Dans le monde, tel qu'il est, tout est éphémère, volage, les choses fanent dès qu'on les touche. Les saveurs viennent et s'en vont, loin, sans dire « au revoir », le fade y est Roi et la mollesse l'accompagne. Les paroles y sont des promesses mentis, ravalées, meurtries : on parle par litote dans une exagération grasse. On ne pense plus, on se convainc de banalités, on aspire à être autre et non plus à se mêler à l'autre.

 

Je n'ai jamais voulu être autre, je n'ai jamais voulu être moi non plus mais je pense qu'il est toujours plus simple d'accepter cela, l'expérience finit par nous donner le mode d'emploi. Néanmoins j'ai toujours voulu être près d'autrui, les examiner, les toucher,voire les aimer un peu.

 

Les autres n'étaient plus un mystère : les déchiffrer était une mince entreprise, ils n'étaient pas non plus présence puisqu'il n'y a que dans leurs bras que je pouvais enfin me sentir seule, parfaitement bien, isolée.

 

En somme j'aspirais à l'évasion, mais de quoi et comment ? Je ne le sais pas. Simplement l'évasion, une fuite continue sans motif et sans but. Une course et tout ce qu'elle entraîne, la sensation d'infini. Cependant je n'ai jamais voulu de l'infini, j'aime les segments, l'incomplet : l'éphémère.

 

Il y a de paradoxale dans les motivations humaines que l'on cherche toujours l'éphémère lui imputant une ambition éternelle. Les instants ne sont beaux que parce qu'ils s'achèvent brutalement, qu'ils cisaillent une langueur quotidienne, et pourtant, dans leur accomplissement , on se jure qu'ils sont sans fin. Les étreintes en sont l'emblème.

 

La seule échappatoire que nous présente le réel est inscrite en lui, c'est dans l'acceptation de son accomplissement que l'on parvient à le transcender. Je l'acceptais calmement, avec comme ambition secrète de le posséder à ma manière.

 

Je suis dehors, dans la rue. Le brouhaha m'enclave et me berce, les individus s'effacent, et moi, eh bien moi je cours, non, mieux, je glisse, je fais naufrage.

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