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Ici vous trouverez de courts récits (de fiction) basés essentiellement sur les sentiments humains et la manière dont chacun les interprète.

03 Jun

Ennui en Nuit Américaine

Publié par Esther Descamps

Ennui en Nuit Américaine

Nous avions tout deux entrepris d 'aller à ce grand cinéma qui tend à rivaliser avec la bibliothèque, prenant l'allure de livres ouverts, à laquelle il fait face. Ce  même cinéma dont les murs extérieurs sont ciselés par une série de jambes de femmes, nues et dynamiques.

 

Je t'attends sous l'averse, sans parapluie, en proie aux gouttes qui fendent sèchement le ciel ; je suis là, lasse et les bras ballants, sans abris et sans réchaud. Tu t'éternises comme tu as toujours fait, pas même une silhouette, rien. Il paraît que c'est dans l'absence, dans la distance que le désir croît ; je n'y crois pas et celui qui a prononcé ces mots n'a jamais désiré : c'est au contraire lors de ton absence, de ton retard prolongé que je me mets à te mépriser, de manière éphémère, certes, mais à l'instant bien réel.

J'imagine alors ton arrivée, j'en invente plusieurs et plusieurs manière d'aborder une conversation, j'écris un script sachant pertinemment que je ne m'y tiendrai pas, que je serai sotte et qu'il n'y aura aucune issue à ma bêtise.

Et puis tu es arrivé. Sans un mot, sans excuse, seulement « tu es trempée », trois petits mots d'indifférence à mon égard.

 

Nous nous asseyons enfin dans la salle, cédant à l'appel des fauteuils rouges sang, pourquoi d'ailleurs ont-ils toujours eu cette couleur ? La salle s'assombrit, normal ; mais comme toujours à ce moment il me semble que je manque d'air, j'ai besoin de m'enfuir de partir loin, parce que je suis lâche et que passer deux heures enfermée avec toi m'est une épreuve trop dure à surmonter. Trop tard, d'autres spectateurs sont venus nous encercler, je suis prise au piège. Alors que le film commence je pose ma tête sur ton épaule, parce que c'est amusant de voir l'écran de travers, de découvrir un autre perspective et qu'être contre toi ne m'est pas si insupportable. Quand je me relève quelques cheveux sont restés plaqués contre ma joue, légèrement collés, cela m'amuse : je suis ridicule et tu n'y as pas fait attention.

 

Lorsque je me retourne à nouveau vers l'écran, se joue une scène en nuit américaine, l'acteur te ressemble, il est beau. Je me retourne vers toi pour vérifier cette ressemblance, ton visage a capturé la teinte bleu de l'écran, comme si tu étais dans le film, comme un héros. Tu as bien cerné ce que je pensais et pourtant nous quitterons le lieu sans jamais faire allusion à cet écart. Je sais maintenant la teinte qu'à ton aura, celle que je t’attribuerai alors toujours, c'est le vert des sapins de haute montagne, parfaitement à l'image du sentiment paradoxal que j'ai à ton égard : je n'ai jamais eu peur de te parler sans prudence et pourtant je ne peux m'empêcher de sentir sans cesse ton jugement peser sur mes épaules.

 

Nous marchons sans un mot, aucun qu'importe. Le silence pour une fois ne m'étouffe pas, je ne veux pas te parler de toute manière, parce que je veux être la fille chiante, celle qui en veux, et ne dira jamais la raison pour laquelle elle s'éloigne. Je veux être la fille du film que nous venons de voir, je m'amuse à penser qu'elle t'a fait penser à moi, parce qu'elle est ingénue et directe. Je veux que tu m'imagines aussi belle qu'elle l'est, aussi sensuelle.

 

Je dessine alors tes pensées, tu deviens un être creux apte à accueillir mes fantasmes, ce que j'aimerai que tu sois. Je prends un peu recul, je vis le présent comme un souvenir, je ris déjà des erreurs que je m’apprête à commettre, je suis nostalgique de notre premier baiser qui a lien en cet instant même.

 

C'est faux, une relation de plastique vous dis-je ; mais j'y suis alors reine de la fausseté, je construit à moi seule cette projection sans me soucier de ce que tu penses. Parce que je ne t'aime que pour de faux, ton vert sapin ne me suffit pas, je veux le bleu azur, je veux aimer totalement, tendrement, tragiquement.

 

Rentrée chez moi je m'assieds sous mon bureau, collée à la fenêtre ; et je vois défiler sur la plaque de verre qui me fait office de toit, le panorama qui se joue derrière la vitre : les voitures qui glissent sur l'autoroute, le bleu, le rouge et le gris, tout cela dans un flou charmant.

 

Alors enfin c'est à nous deux Paris, à moi la vie et son quotidien merveilleusement répétitif, à moi le monde et son ennui poétique. Un jour je vaincrai, je partirai, et j'aimerai, enfin, pour de vrai.

 

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